Nos 80 kilomètres du Mont Blanc

On retrouve Greg, responsable du magasin de Bourgoin sur son défi des 80km du Mont Blanc. Un récit de course émouvant partagé en famille et avec les amis…une arrivée finisher collective 😉

80km du Mt-Blanc, Comment j’en suis arrivé là?

26 aout 2016… Chamonix : venu pour faire une surprise au cousin Fredo engagé sur la CCC, je prends une immense claque dès que je pose le pied sur le bitume brûlant Chamoniard. Je n’ai plus posé mes valises au pied du mont blanc depuis mon arrivée de l’UTMB 2014 ! Une éternité pour mon âme d’ultra-traileur. Une fois les premières émotions dispersées, l’évidence me saute aux yeux pour 2017 : objectif 80 km du Mont-Blanc. Ce choix, pourtant spontané, est finalement assez réfléchi : une distance raisonnable pour un D+ qui annonce la couleur (6000m D+).

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Les mois passent, le dossard est assuré et l’hébergement pré-réservé mais j’hésite… Je ne peux assurément pas m’entraîner correctement alors que mon quotidien baigne dans le running. Pour ce qui est du temps libre, il s’oriente plus vers la famille que vers le tartan, les chemins ou les cimes.
Samedi 13 mai, presque tremblotant je valide mon ticket pour le graal ou l’enfer… Je ne sais dire. Mais la XL Race avec les copains fin mai et la perspective que la famille soit à l’arrivée à Chamonix éclaircit quelque peu un ciel encore bien chargé en vue d’une troisième arrivée triomphante sur la place du Triangle de l’Amitié.

quand faut y aller….

C’est donc sans objectif « officiel », ni assistance que je prends la route le jeudi 22 juin… enfin presque sans assistance, Fab ayant gentiment proposé d’assurer toute la logistique d’avant course. Et je peux vous dire que ça assure un max. Aux petits soins, je n’avais que le stress à gérer ! Au top mon Fab, une nouvelle fois merci !

Je vous passe la visite aux partenaires du village, le retrait des dossards et toutes ces heures interminables à attendre l’heure du départ.
Vendredi 24 juin, 4h, moins quelques secondes, Fab m’a laissé, je suis seul au sien d’un peloton de coureurs que je sais bien plus préparés que moi. A cet instant, je décide que la course ne se fera que contre moi. Départ ? NON, il me faut le premier message d’encouragement de ma chérie. On a nos codes, message court pour que je puisse les voir en entier sur la montre, le voilà… Maintenant, c’est parti !

Après un léger échauffement dans les rues de Cham, nous voilà dans les premiers lacets du Brévent est ses 1450m de D+. Très vite, une lumière rouge pointe son nez. Oups, les piles de la frontale sont HS et celles de rechanges, pourtant obligatoires, sont restées à l’appart. Pas de stress, il faudra rentrer avant la nuit. Simple, il suffit de remplir l’objectif officieux que, comme tout coureur, je me suis fixé.

La luminosité gagne au fur et à mesure que nous quittons la forêt. Le mont Blanc se dégage parfaitement sur notre gauche, c’est magnifique ! Je monte à ma main – souvent contraint de suivre le groupe de coureur qui me précède – ce qui me permet de profiter pleinement de ces premières heures de course. Sur la partie finale de l’ascension, j’accélère un peu histoire de tester un peu la machine en prenant au passage une revanche sur le Trail des Aiguilles Rouges abandonné en 2013. Tout se passe alors pour le mieux quand je passe le sommet en un peu plus de 2h (2h16 – 394ème).

doucement mais surement

Je passe les points de contrôle de Planpraz et de Flégère – les souvenirs de l’UTMB plein la tête – avec une avance confortable sur ces premières barrières horaires que je craignais (3h18 – 327ème) avant la montée de la tête au vent. Des coureurs me doublent – je sais que certains n’iront pas au bout comme cela, pour d’autres, je ne les verrais plus – j’en double aussi, et tout cela s’équilibre avant de basculer sur la première descente significative, longue et technique, vers le Col des Montets. Si les premiers pas sont hésitants, élasticité et tonicité musculaires reviennent pour, peu à peu, rendre la descente rapide, efficace et maîtrisée. L’option zéro drop vers laquelle je me suis orienté paie, à minima à cet instant de la course.
Une énième faute de pied – je suis déjà tombé sur le sommet du Brévent – me met presqu’au sol et, alors qu’un coureur bien intentionné souhaite me faire éviter la chute, me fait sortir complètement de la course. Les kilomètres me menant alors au ravitaillement du Buet sont difficiles. La foulée est lourde, le pas moins assuré et l’état général plutôt moyen au tiers de la course. Dix minutes de pause salvatrices me permettent de repartir dans une meilleure dynamique. Si l’éventualité de ne pas aller au bout m’a effleuré l’esprit, il n’en est nullement question à cet instant de la course.

 

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Dans la Loriaz (800m de D+) les sensations sont plutôt bonnes, je ne m’affole pas quand on me double dans les parties roulantes car mon ascension est efficace et économe si bien qu’à l’approche du sommet, je me permets de lever les yeux pour contempler le magnifique paysage sauvage qui s’offre à moi. Les écarts entre les coureurs commencent à être conséquent ce qui me permet de profiter d’instants de solitude dans ce décor extraordinaire. Seule surprise, je passe le point de contrôle en compagnie de la 35ème féminine, ce qui laisse à penser que je suis assez loin au classement, mais peu importe.

quand la chaleur et la fatigue s’y mêlent

Vendredi 24 juin, Le Molard, 10h49 (245ème) : Je suis dans mes plans, au pied du barrage d’Emosson, mon état de fraîcheur est idéal. A la sortie du ravitaillement, les forts pourcentages des premières pentes font de gros dégâts autour de moi. Il n’y a que peu d’endroits pour s’abriter d’un soleil, intense pour ce milieu de matinée, et un vent constant nous assèche la bouche. Alors que des coureurs s’arrêtent pour trouver un peu d’ombre ou de fraicheur, je continue conscient du lactique remplissant inexorablement les muscles. Le barrage est en vue, mais encore si haut, si loin. La pente est de plus en plus raide, de véritables marches naturelles se présentent devant moi si bien que les bâtons ne suffisent plus, il faut mettre les mains. J’avance, oubliant la douleur et le souffle court avec, de temps à autre un petit message de ma chérie, de PoPo, de Nico, d’Astrid, de Thomas, de Fab ou de Cédric qui me redonne un coup de boost et adoucit quelque peu cette verticalité terrifiante. La pleine définition de la solitude du coureur de fond, tous conditionnés au « marche ou crève » en attendant des instants meilleurs. Le sommet, enfin, quelques centaines de mètres de bitume, où courir à 9 km/h est un calvaire, avant les premiers débuts de crampes dans les quelques escaliers où les applaudissements chaleureux redonnent le sourire. Mais est-ce suffisant ?

Récupération, je ne pense qu’à cela ! Je m’hydrate, mange, marche un peu, m’assois même. Je prends le temps. Un œil à ma montre qui annonce déjà 45 bornes ! Puisque l’altimètre délire depuis quelques heures, je n’y prête pas vraiment attention. Un contrôle des sacs et me voilà dans l’inconnu (8h30 de course une première depuis deux ans) et pourtant les jambes semblent répondre. Je me lance alors dans la descente sur un rythme intéressant, si bien que l’optimisme semble me gagner peu à peu. Mais la montagne est cruelle. Dès les premières rampes de la tête de L’Arolette (1200m de D+), les jambes ne veulent plus.

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au mental…

Nouvelle pause au ravitaillement des Jeurs (1550m). Je m’hydrate, variant les saveurs au possible, et m’alimente. J’ai l’impression de multiplier les pauses mais, une fois n’est pas coutume, cela semble me réussir, alors j’opte pour cette stratégie. Je repars dans une pente plus douce, l’endroit idéal, pour échanger quelques mots avec ma supportrice N°1. Une fois raccroché, j’ai recouvré force et envie : l’amour a des vertus que nous ne soupçonnons pas dans ces sentiers redevenus plus alpins mais pas méconnus. Aux cabanes de Catogne, je jette un œil vers les cimes où de minuscules coureurs passent le sommet (2330m) arque boutés dans une pente qui ne présage rien de bon.

Au mental, je gravis les 300 derniers mètres de D+. La crête qui suit est aussi sauvage que magnifique mais, fouetté par le vent, je n’arrive pas à y prendre du plaisir. La descente elle, est plutôt roulante avec une vue magnifique sur la vallée de Chamonix. Cela fait quelques heures que je croise les mêmes coureurs au rythme des qualités et des moments forts de chacun (dont celui qui a voulu me rattraper au col des Montets). On discute, on s’encourage, on souffre mais on a choisi d’être là, donc on s’en accommode.

dans le dur

Le Tour, annoncé au kilomètre soixante, marque la fin définitive de l’euphorie. Nous en sommes en fait à déjà plus de 67 bornes (vérification faite auprès d’autres coureurs), nouvelle pause avant dix kilomètres interminables ! Je ne supporte plus le profil de la course. En manque cruel de jambes et d’énergie, je peine à passer les successions de montées – trop longues pour courir et trop courtes pour trouver un rythme – et descentes – où je retrouve mon inefficacité légendaire. Résultat, je râle et me pose des questions sur l’issue de la course. C’est dur, je n’attends qu’une chose, l’ultime ascension qui s’annonce moins difficile que les précédentes.

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Enfin, me voilà au ravitaillement des Bois : il est 18h. Les bénévoles – toujours au top – se donnent beaucoup de mal pour nous remonter le moral. A cet instant de la course, tous les coureurs autour de moi sont marqués, fatigués, usés… Dire que Cham est à moins de 10 kilomètres, alors que l’on nous en met 15 et mille mètres de D+. Toujours autant de solidarité, on s’encourage, on blague même un peu, avant de retourner dans notre bulle, seul, tentant de résoudre l’équation qui doit nous mener à l’arrivée.

Je repars optimiste sur les kilomètres à venir, mais la pente est finalement bien plus sévère que prévue ! Alors que j’attaque – sans le savoir – la partie la plus difficile de l’ascension, me voilà submergé par l’émotion des messages que je reçois. Tour à tour, Patou, Régis et ma chérie redoublent d’encouragements, je pleure comme un enfant alors que je me dois de rester concentré sur ma course. OUI, sauf accident, j’irais au bout, mais pour cela, il faut finir le job. L’ascension du Montenvers est un enfer mais une force extérieure me pousse, me fait oublier la douleur et me fait faire le pas de plus qu’il faut pour avancer et monter… encore et toujours.

une fin interminable

La Gare du Montenvers : Ca y est on va redescendre et enfin voir l’arrivée ! Mauvaise pioche, si j’avais un peu mieux étudié le profil, je saurais que l’on tire jusqu’au Plan de L’Aiguille. A cette annonce, tout s’écroule, je suis vidé, exténué… Moi qui ne savais déjà pas comment j’allais pouvoir finir, ces cinq kilomètres supplémentaires m’achèvent. Et pourtant, ai-je le choix ? Je ne vais tout de même pas m’arrêter parce que je suis fatigué ! Je laisse partir mes compagnons de fortune et m’accorde cinq minutes de pause supplémentaire. Je m’assois, me restaure et jette un œil sur ma gauche où les trois lits de secours sont déjà bien garnis. Réflexe de peur ou de survie : je file (15h34 – 140ème).
Au loin, se dresse, au pied du Mont-Blanc, le fameux chalet du Plan de L’Aiguille. Si loin et si près à la fois, je ne comprends pas pourquoi nous allons là-bas (alors qu’avec le recul c’est évident : c’est magnifique et technique). Je ne suis plus dans la course, focalisé sur ce détour inattendu avec comme seule compagnie la conversation inintéressante de mon compagnon de foulée. Je peste, râle avant de, enfin, focaliser mon énergie sur l’effort. Et ça paie. Bien aidé par un coureur Anglais – chaleureusement remercié à l’arrivée – je retrouve rythme et envie dans les derniers kilomètres nous menant à l’ultime ravitaillement. Sur place, ça sent la fin de course. Tout le monde est conscient que l’on verra Cham et l’ambiance entre coureurs, secouristes et bénévoles est très détendue. Plus égoïstement, la bonne heure de descente qu’il me reste peut coïncider avec l’arrivée de la famille. S’ils pouvaient être là, ça ne serait que du bonheur ! De nouveau les larmes coulent, impossible de les arrêter. Tant pis, je pars comme cela. Je commence à descendre prudemment puis – avec une énergie irréelle – je le lance finalement dans une descente parfaite. Un bon rythme, pas de faute de pied, je double, on me double, je m’en fiche je vais être finisher. Ma montre s’est arrêtée, je ne sais toujours pas si ma chérie et les enfants sont sur place. Les lacets se succèdent, Chamonix approche, la lumière décroit et je dois être prudent dans les sous-bois (plus de frontale).

une arrivée salvatrice

Le bruit de la ville se fait de plus en plus net, un bénévole m’annonce que c’est terminé, quand j’entends mon prénom ! Qui m’attend ici ? Je mets quelques secondes à réagir, c’est Gaëtan ! Quel plaisir de finir la course avec lui – comme sur l’UTMB – mais le plus beau est à venir. Je suis toujours arrivé à Cham en pleine nuit (CCC 2012 comme UTMB 2014), là il est 22h et le centre-ville est blindé de monde. Les premiers applaudissements sont chaleureux, le regard des spectateurs démontre l’immensité de ce nous venons de réaliser, je les remercie tous car le public, comme les bénévoles nous font un bien fou pendant ce genre d’épreuve. Le public se densifie alors, comme les applaudissements. Les gens qui dinent en terrasse se lève pour saluer mon passage, c’est incroyable ! Je passe la flèche à Fab (lui seul comprendra) pour entrer dans la rue piétonne où là, c’est un truc de malade. J’ignore si la vidéo vous le montre, mais je peux vous dire que je suis accueilli en vainqueur. Des applaudissements, des cloches, des bravos, Cédric et Gaëtan qui hurlent, c’est indéfinissable…

Dernier virage à gauche, et là je ne sais pas si je peux trouver les mots adéquats – en écrivant les yeux piquent encore – les 3 personnes les plus importantes à mes yeux sont là pour les derniers cent mètres de mon ultra. J’attrape les enfants, loupe la bonne file, ma chérie se joint à nous et là c’est le trou noir ! Le temps s’est arrêté, plus personne ne parle ni n’applaudit, il n’y a plus de speaker, de sono, de copains… J’ai juste tout ce que j’aime à mes côtés pour l’arrivée de cette course extraordinaire !
Je passe la ligne avant de m’effondrer dans le bras de mes enfants. Je pleure à sanglot, je suis le plus heureux des sportifs, non à cet instant je suis le plus heureux des hommes.

Je retrouve peu à peu mes esprits, Ludo – speaker au top rencontré à plusieurs reprises – me félicite mais n’accepte pas mes excuses pour les larmes. Je serre la femme de ma vie et mes enfants dans mes bras avant de remercier un à un tous ceux qui sont là pour moi voire par hasard (Christopher ou Manu).
On fait durer le plaisir, je bois une bière – dans un bidon une première – bien méritée et je savoure ces moments uniques, après 18H01, 94 km et quelques 6100m de D+, avec ce que j’ai de plus important au monde.

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Pour conclure je peux vous dire que cette course est vraiment difficile ! S’y frotter sans une préparation adaptée relate du suicide… sauf quand on a la chance d’être entouré comme je le suis alors, à tous et à toutes, mille mercis !!!

Greg, gérant et coureur heureux